Domaine | Traditions non-occidentales |
Secteur | Grammaires du japonais [4522] |
Auteur(s) | Haguenauer, Moïse Charles |
Haguenauer, Moïse Charles Forme complète: Haguenauer, Charles Datation: Caen 1896 - Paris, 21 décembre 1976 Linguiste, comparatiste, ethnographe et historien des religions français d’origine juif-alsacienne, Moïse Charles Haguenauer est le (re)fondateur des études japonaises et coréennes modernes en France. Attiré par le japonais dès ses années de lycée, c’est une grammaire japonaise sous le bras qu’il répond à la mobilisation de 1915. Le répit de l’entre deux guerres lui permet de se former à l’École nationale des langues orientales vivantes, où il reçoit l’enseignement de Joseph Dautremer, et dont il sort diplômé de japonais (1921), de chinois et de malais (1923). Parallèlement, il fréquente l’École pratique des hautes études. En ce début des années 20 à Paris, ses maîtres ont pour nom Marcel Granet, Henri Maspéro, Paul Pelliot, Sylvain Lévi, Antoine Meillet ou encore Marcel Mauss. C’est incontestablement dans le creuset de la formation pluridisciplinaire reçue auprès de ces grands savants, en sinologie, en grammaire comparée et en ethnographie, que les orientations méthodologiques du jeune Haguenauer vont se dessiner. Bénéficiant de conditions très favorables (une bourse d’études de la Fondation Montfort), il débarque au Japon un 30 juin 1924 et, un an et demi plus tard, est nommé premier pensionnaire de la toute jeune Maison franco-japonaise (janvier 1926 - 1932) dont la direction était dans le même temps confiée à son maître Sylvain Lévi. Ce long et laborieux séjour dans l’empire japonais, ponctué d’enquêtes de terrain, lui permettra de collecter le matériau archéologique, ethnologique et linguistique de sa thèse (1947) et partant des Origines (1956). De retour en France (1932), il prend la succession de Joseph Dautremer à l’École Nationale des langues orientales vivantes jusqu’en 1953: ces quelque deux décennies d’enseignement du japonais constitue la matière de la Morphologie (1951). Parallèlement, il est chargé de conférences à la 5e section de l’École pratique (1933) dont il devient titulaire de la direction d’études « Religions de l’Extrême-Orient » (1940). Sur intercession de ses maîtres sinologues (notamment Paul Pelliot) ainsi que de savants japonais, en dépit de l'alliance avec l'Allemagne nationale socialiste, il lui est permis de poursuivre son enseignement à Clermont-Ferrand durant l'interruption de la Seconde Guerre. De retour à Paris, il est chargé de conférence en Sorbonne (après avoir soutenu une thèse magistrale en 1947), puis titulaire de la chaire créée pour lui à la faculté de Lettres (1953). Il enseigne dans cet établissement ainsi qu’à l’école pratique jusqu'à sa retraite (1968) et poursuit ses efforts dans la comparaison du japonais jusqu' à sa mort survenue quelques mois avant la parution de son dernier ouvrage (1976). Le monde académique français lui doit d’avoir porté la japonologie et la coréanologie au très estimable niveau scientifique qui est le leur aujourd’hui. Investi de l’impérieux mais ingrat devoir du pionnier et du passeur, il s’interdit la spécialisation (en dépit de l’orientation très nettement philologique et linguistique de son travail) et assure la formation de plusieurs générations de disciples: il est à peine hardi d’affirmer que tous les japonisants français en activité sont, directement ou indirectement, redevables de ses inlassables efforts. Sa contribution à la linguistique japonaise et coréenne couvre pratiquement un demi-siècle (1927-1976) et son rôle dans les institutions (de la fondation d’un Institut d’études japonaises en 1934, au rattachement administratif au Collège de France de l’Institut des hautes études japonaises et du Centre d’études coréennes en 1973) apporte le témoignage d’une vie entièrement dévouée à la promotion des études japonaises et coréennes en France. | |
Titre de l'ouvrage | Morphologie du japonais moderne, volume I, Généralités, mots invariables |
Titre traduit | |
Titre court | Morphologie du japonais moderne |
Remarques sur le titre | Conçue comme la première partie d’un vaste Cours de langue japonaise moderne, seule à jamais voir le jour, et dont le plan aurait dû suivre l’ordre que voici (p. 1): I Généralités, mots invariables; II Enclitiques, mots variables et suffixes, Phonétique, Structure de la phrase. |
Période | |20e s.| |
Type de l'ouvrage | Description du japonais moderne dans la perspective de la philologie altaïque. |
Type indexé | Grammaire descriptive|Grammaire diachronique|Grammaire pédagogique | Comparatisme | Morphologie |
Édition originale | 1951, Paris, Librairie C. Klincksieck. |
Édition utilisée | 1951, Paris, Librairie C. Klincksieck. |
Volumétrie | VI + 425 p., env. 2000 signes par pages |
Nombre de signes | 860000 |
Reproduction moderne | Une seule édition, quoique Frank, dans sa note liminaire aux Études de linguistique (1976), fasse état du «projet d’une nouvelle édition, corrigée et augmentée», suivant le vœu de l’auteur, ainsi que de l’existence d’éléments de mise au point. |
Diffusion | L’œuvre n’a connu, selon toute vraisemblance, qu’un seul tirage et n’était plus disponible en librairie à la date de 1976. |
Langues cibles | Japanese (JA, JPN) |
Métalangue | French (FR, FRE) |
Langue des exemples | Japanese (JA, JPN) | French (FR, FRE) |
Sommaire de l'ouvrage | Table des matières (p. I-VI); Avertissements (p. 1-4); Signes diacritiques utilisés (5); Indications sommaires concernant la prononciation, la transcription utilisée et l’accentuation (6-10) |
Objectif de l'auteur | À l’article de l’activité scientifique d’Haguenauer «altaïsant», celui de la Note (1950), des Origines (1956) et des Nouvelles recherches (1976), aussi bien que de celle du professeur, la Morphologie témoigne du souci de dégager la présentation du japonais du dispositif des parties du discours (dans le cadre duquel la japonologie européenne démarre avec les missionnaires ibériques et reprend de plus belle en France au début du 19e s.) ainsi que d’une tradition indigène, elle-même par trop compromise (setchû) sous l’influence des grammaires hollandaises puis anglaises. Devant ce qui semble à ses yeux être une double impasse, et eu égard aux perspectives ouvertes par la philologie altaïque, Haguenauer entend appréhender la langue sous l’angle de son «génie» (démarche, comme dit Maës, de couleur humboldtienne qui ne défraie pas particulièrement la chronique des idées sur le langage) et de son caractère «altaïque». Il forme le vœu que, rétroactivement, ses investigations encouragent les grammairiens japonais eux-mêmes à envisager la description de leur langue à de nouveaux frais. |
Intérêt général | Si la grande œuvre d’Haguenauer est sans doute à chercher du côté des Origines, la Morphologie constitue indiscutablement un point de départ pour notre tradition de l’analyse et de l’enseignement du japonais en France. La transcription du japonais qu’il met au point, pour les besoins de l’analyse morphologique et la segmentation des items linguistiques, ingénieuse autant qu’isolée, est exactement contemporaine des tentatives en ce domaine du phonologue Hattori Shirô (Labrune 2000), et tente d’atteindre la langue par-delà le conditionnement des caractères chinois et des kana, tout en intégrant graphiquement la dimension historique. Le système de diacritiques complexes qui caractérise cette notation plutôt « étroite » (Vos 1953) lui permet aussi de signaler graphiquement l’origine des termes (caractéristique fondamentale du système d’écriture mixte japonais) et constitue, là encore, une invite faite aux spécialistes à réfléchir à l’élaboration d’un système plus conforme à la réalité linguistique du japonais que celui en vigueur, résultat d’un transfert technologique. C’est en outre la première fois que paraît en France un exposé de grammaire japonaise, éminemment pédagogique et, quoiqu’exigeant, relativement accessible par sa parcimonie d’expression et son refus de la théorisation, qui adopte les principes de la grammaire comparée, puisant autant à la rigueur et à la prudence de Meillet (Villard 1988) qu’aux données rendues disponibles par les progrès de la philologie altaïque, en voie de disciplinarisation, ainsi que dans la connaissance des états historiques des langues groupées sous cette étiquette. |
Parties du discours | Haguenauer «entend briser tout cadre projectif» (Maës 1975b) et renouveler la terminologie en vigueur dans les grammaires européennes du japonais. Par conséquent, il ne se réfère pas explicitement au vocabulaire de la tradition indigène (à la notable exception de daimeshi, «pronom», en un seul endroit du texte), dont procède néanmoins le sien par traduction. L’opposition fondamentale mots invariables / variables qui répartit les unités de langue en deux blocs poursuit l’antique carrière du binarisme terminologique d’origine bouddhique tai / yô. Sous les premiers se rangent les mots nominaux, déterminatifs, les noms de nombre, les interjections, indices de la pluralité, enclitiques et suffixes formatifs et fonctionnels non-modifiables; sous les seconds se rangent les mots verbaux et les mots de qualité, ainsi que les suffixes comportant un élément variable. |
Innovations term. | «Sémantème», qui est passé chez Guillaume également, lui vient de Vendryes et désigne en l’espèce une entité linguistique pourvue d’un sens lexical dont les contours restent toutefois assez flous. La grande précaution d’Haguenauer le conduit par ailleurs à multiplier les mots composés, sinon valises, et à recourir fréquemment à l’adverbe quasi (comme en son temps Diego Collado) afin de ne jamais perdre de vue les nuances qu’une nomenclature trop vite arrêtée aurait tôt fait d’éclipser. À la notion de temps, il préfère celle d’aspect (empruntée à la slavistique) et c’est dans la terminologie que la Morphologie assigne aux bases verbales que l’ouvrage va recevoir la sanction de l’usage. Haguenauer distingue en effet trois types de base verbales, dont le timbre de la voyelle thématique varie, et qui reçoivent les noms de base conclusive (forme terminale marquant la clôture de phrase), suspensive (marquant la converbation) ou formative (recevant divers suffixes ou susceptible d’être employé seul à l’impératif). Ce schéma, dans le nombre de bases qu’il comporte, est adapté selon les 3 types de verbes que présente le japonais moderne. |
Corpus illustratif | La langue ciblée est la variété standard du japonais moderne (le hyôjungo), mais la variation diachronique (la langue classique), diatopique (les faits dialectaux) et même diastratique (notamment dans les chapitres traitant des interjections et des jurements) est constamment mobilisée à titre comparatif, de même que les cognats des langues Ryûkyû ou les rapprochements opérés avec langues d’Asie centrale et septentrionale dites «altaïques» (turc, toungouze, mongol, coréen en plus de l’aïnou). Le chinois, surtout classique, ainsi que le sanskrit sont également mobilisés au besoin afin de déterminer les adstrats culturels ou les expressions dont les structures résultent d’un calque. Quelques exemples vraisemblablement tirés d’œuvres littéraires, sans qu’aucune référence précise ne soit fournie. |
Indications compl. | En dépit d’une présentation austère et peu espacée, d’un ton en retenue permanente et d’une rigueur confinant presqu’à la lourdeur (Hérail 2012), la Morphologie a quelque chose d’extrêmement vivant et stimulant, et la passion de son auteur est contagieuse. La langue, dans toute sa variété, est toujours envisagée à travers le «sentiment» du sujet parlant qui la porte et, dans ses explications et analyses, l’auteur n’épargne jamais au lecteur les méandres de sa réflexion, contribuant à poser les problématiques et à ouvrir les pistes de recherches de demain. |
Influence subie | Outre des renvois méthodologiques, en préambule de l’exposé, à ses propres notices (Haguenauer 1948b) et présentations linguistiques (1948a), en particulier dans les Langues du monde (1952), Haguenauer ne réfère explicitement qu’à Vendryes (Le langage, 1921) et l’ouvrage ne comporte pas de bibliographie. Au titre de «lexiques», sont cités les dictionnaires de Lemaréchal (1904) et Cesselin (1939), le Daigenkai de Ôtsuki (Garnier, 2000), à de nombreuses reprises, ou encore le Dainihonkokugodaijiten; le Handbook de Chamberlain (1888), la Grammaire de la langue mandchoue d’Adam (1873) ou l’Alttürkische Grammatik de Gabain (1941). Les derniers chapitres sont l’occasion de références précises à Matsushita et de discussions de ses thèses. Selon Vos (1953), la Morphologie témoigne d’une connaissance intime de la linguistique japonaise et européenne – ce dont la quantité impressionnante de références (du Calepin latin-portugais-japonais imprimé en Amakusa en 1595 aux grands linguistes de la première moitié du 20e s.) au fil du long article sur les enclitiques (Haguenuaer 1960) apporte la confirmation – et croit déceler dans le chapitre consacré aux «mots déterminatifs» l’influence de Shiratori. Au contraire, Martin (1953), dans un compte-rendu édifiant tant il est un manifeste pour le distributionnalisme post-bloomfieldien appliqué au japonais, lui reproche de méconnaître les travaux de Bernard Bloch (1946), ce que dément formellement la bibliographie dressée dans les Langues du monde. «En marge du structuralisme» (Maës 1975), plus exactement «ante-praguois» dans sa démarche (il ne fait pas de phonologie), c’est, en fin de compte, du côté de la «sociolinguistique» de Meillet et de l’ethnographie de Mauss que doivent être cherchées les influences sur Haguenauaer dans son approche originale et novatrice du « japonais commun » (conçu comme tout le diasystème du japonais). |
Influence exercée | La Morphologie inaugure une véritable tradition métalinguistique à l’INALCO, continuée et raffinée au travers des enseignements de Jean-Jacques Origas et Fujimori Bunkichi. Parmi les très nombreux disciples d’Haguenauer, Hubert Maës seul se spécialise en linguistique et prend le relais de son maître à l’université de Paris VII à partir de 1968. |
Renvois bibliographiques | → Références Beillevaire P. 2013; Frank B. 1973; Frank B. 1977; Frank B. 1981; Garnier C. 2000; Griolet P. 2008; Haguenauer C. 1927; Haguenauer C. 1933; Haguenauer C. 1939; Haguenauer C. 1947; Haguenauer C. 1947; Haguenauer C. 1948; Haguenauer C. 1948; Haguenauer C. 1950; Haguenauer C. 1951; Haguenauer C. 1952; Haguenauer C. 1954; Haguenauer C. 1956; Haguenauer C. 1956; Haguenauer C. 1959; Haguenauer C. 1960; Haguenauer C. 1964; Haguenauer C. 1966; Haguenauer C. 1970; Haguenauer C. 1976; Haguenauer C. 1980; Haguenauer C. 1980; Hérail F. 1977; Hérail F. 2012; Labrousse P. 1995; Labrune L. 2000; Maës H.; Maës H. 1975; Marquet C. 2014; Martin S. E. 1953; Origas J.-J. 1985; Paul-David M. 1978; Rotermund H. O. 1976; Saito H. 1979; Villard M. 1988; Vos F. 1953; Yamagiwa J. K. 1953 |
Rédacteur | Bonnet, Maxime |
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Création ou mise à jour | 2024-10 |